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  • ricardosalvador2

L'art comptant pour rien.

Quand je lis, c’est uniquement dans la salle d’attente chez le dentiste, en général le brave homme ayant tellement de retard, je peux me taper ‘Guerre et paix’ au moins deux fois de suite.

Ce jour-là, j’avais oublié de prendre un livre, pourtant en ce moment j'en ai deux sous le coude, deux études hyper ardues écrites par Trierweiler et Zemmour , deux de nos ethnologues post-modernes les plus compétents qui font les choux gras de la presse scientifique. Du coup, je me rabats sur un de ces  magazines  fluo qu’on trouve dans les salles d’attente médicales, genre « Voleurs actuels » et « En veux-tu ?en voici. ». Comme mon dentiste est un esthète de premier ordre ( Avec ce que je lui laisse en couronnes et en bridges, il peut se payer des Van Gogh première époque), il a un journal qui s’appelle ‘Art Contemporain’ que je me mets à feuilleter rapidement. Au bout de trente secondes, je repose le journal en maugréant comme un iconoclaste que je suis « Ya que de la pub là-dedans ». Ma voisine, une charmante quadra enrobée de peaux d’animaux morts, membre de l’Otarie Club et sans doute amateur(e) d’art éclairée s’insurge :

- Comment pouvez-vous dire une chose pareille ?! Ce numéro comporte un encart spécial « Jeff Koones », une merveille!

Un peu étonné mais sans me départir de ma courtoisie légendaire, je lui montre la double page intérieure : Un genre de gros chien en plastique rose et un homard rouge, surement des  attractions pour les gosses à la foire de Noël ou des enseignes pour des marchands de bonbons Haribo.

- C’est pas de la pub, ça peut-être ?

Je vois la petite dame à deux doigts de tomber à la renverse :

- Mais enfin, c’est du pop kitsch, c’est ce qui se fait de plus branché  en art moderne !! Koones a révolutionné le genre !

Elle n’ajoute pas « pauvre imbécile » mais je sens bien que j’y ai échappé d'un cheveu.

Je me pourpense en mon for intérieur qu’on ne me dit jamais rien à moi, que j’arrive toujours après la bataille, qu’un peintre en homard a fait une révolution et que personne m’a prévenu.  C’est vrai que j’ai jamais été très doué en Arts Plastiques, j’ai longtemps cru, pauvre demeuré que je suis, en regardant ses œuvres que Miro pour être devenu aussi célèbre, était surement mort très jeune -dans sa neuvième année- et que Vasarely était une marque de papiers peints pour accros au LSD.

 J’ai à peine  le temps de m’excuser  auprès de la dame de mon ignorance crasse que le dentiste m’invite à me faire limer les molaires pour une somme modique équivalente au prix d’une petite voiture citadine. Comme je suis pas du genre à aimer passer pour un inculte borné, une fois chez moi, j’ouvre mon encyclopédie électronique des Grands Révolutionnaires du XXIème siècle.  Je trouve effectivement Koones, coincé entre d'autres grands avant-gardistes, juste après François Hollande et Steve Jobs et avant Jean-Pierre Pernaut et Raffarin et qu’est ce que j’apprends ! Le bougre expose justement à Beaubourg en ce moment ! Quelle chance ! Je file donc à Beaubourg. Pour les ignorants du fin fond de la province, Beaubourg c’est un musée créé par Pompidou, un bon vieux réac de droite des années 60-70 qui aimait des trucs de gauche, genre poésie, art, théâtre et tout le toutim. Attention, quand je dis de Gauche, je parle pas des clodos en salopette qui sentent le saucisson à l’ail et qui pètent à table. Je parle de la gauche bon teint, née dans le VIème arrondissement, polie avec les dames qui carbure au Taittinger dans les fêtes de charité et qui s’indigne fermement contre la montée du Front National, bref la Gauche avec un grand G, celle qui vénère Jeff Koones et qui lit Libé.

Bon , je digresse, je digresse et j’oublie l’essentiel : Jeff Koones est donc le chef de file des artistes d’aujourd’hui. La différence entre ces gars-là et vous, c’est que vous, par exemple, quand votre cafetière est en panne ou que vous démontez votre grille-pain, en général, ça finit soit à la poubelle soit aux encombrants, ben eux non, ils mettent leurs déchets ménagers aux enchères chez Christie’s et ça part comme des petits pains. Autre exemple, suite à une crise de bouffée délirante, vous repeignez votre Saint-Bernard en rouge et vous accrochez des homards roses dans votre jardin, dans l’heure qui suit, vous voyez les flics qui déboulent, les voisins qui veulent vous lyncher et vous finissez en cellule de dégrisement pour la nuit. Ben eux non, ils font leurs saletés en plein milieu du jardin de Versailles et personne porte plainte, la police dit rien et même que  les badauds s’extasient.

C’est pas juste mais je digresse encore.

Alors voilà, je pénètre dans l’antre sacrée de l’art moderne du Centre Beaubourg et je me rends compte que je suis encerclé par des Japonais, les Japonais, ils sont là parce qu’eux aussi ils ont un ferrailleur barbouilleur célèbre, il s’appelle Takashi mais eux ils ont une excuse, leurs homards et leurs poissons ils sont déjà de cette couleur-là, rose fluo, depuis le coup de la centrale nucléaire à Fukushima. Je me balade dans les couloirs pendant une heure ou deux, (pas plus, pour éviter le décollement de la rétine et les aigreurs d’estomac) au moins le temps de me faire une idée en me régalant à l'avance de la critique éclairée et analytique que j'allais pouvoir pondre sur notre artiste. J'étais bien décidé à me faire une idée par moi-même indépendante des opinions et de la mode.

Hé bien, vous voulez que je vous dise ??

Jeff Koones, c’est de la vraie daube.

Mais je n’y connais rien.                 

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